Fayet il était une fois...Claudi


C’est un hameau recroquevillé sur lui-même au fin fond des gorges. Rester ici, c’est déjà rentrer dans la clandestinité, le secret et le mystérieux.
Dans ce nid de solitude, vivait un petit homme opiniâtre, bref, un géant que l’on appelait Claudi… Claudi de Pincoup.
Sa maison était un genre de supérette, le vin, l’alcool, le tabac et les allumettes de contrebande côtoyaient les bobines de fil à coudre.-
Si les articles n’étaient pas de première qualité, il y avait toujours quelques économies à la clé et combien sa visite était appréciée.
Les bouteilles de gnôle au garde- à- vous sur la table de cerisier se jouaient des dernières lueurs du jour dans la pièce commune.
Elles ont été comptées et recomptées, avant de les glisser, pliées soigneusement dans le journal au fond de sa berthe à vendange.

Dans les morsures du petit matin, ses sabots foulaient les feuilles mortes, un pantalon de gros velours rapetassé, le nez brique, les pommettes cuivre, Claudi remontait les Renards pour sa livraison fayetoise. Ces chemins, où l’on ne rencontre ni képi ni soutane, il les connaissait par cœur. Par nuit sans lune, il les aurait faits rien qu’à l’écoute du ruisseau.
Premier arrêt à la Gravière, puis le Cheix, arrivée au Bourg, camouflage de la berthe dans le jardin de la Patacoide sous le regard intéressé de Léon. Une troisième livraison chez le charron.
Au compteur, trois cafés, trois rincettes et deux prises.
Pendant la causerie devant l’établi, Léon subtilisa un précieux flacon. Retour à la source, prise des dernières bouteilles pour le boulanger. Il en manquait une. Claudi ne chercha pas ; c’est au Cheix qu’il avait fait erreur. Il partit fendant l’air, mais déception, ses bouteilles étaient encore sur la table…. Et bien, c’est la Gravière… Deuxième déception, pas d’anomalie.
Au compteur cinq cafés, cinq rincettes et deux prises.
La montée des Revers au pas de charge en bougonnant, les corbeaux en haut des pins ponctuaient son passage.

Il retourna à la cachette et, de colère, ressortit les fioles dans un fouillis de papier : « Mais, bon Dieu, il y en a trois ».
Quelle joie de passer la porte de la boulangerie. Il aligna sa livraison sur la banque devant la grosse balance aux plateaux de cuivre et alla s’affaler sur la troisième marche de l’escalier de bois.
Cette matinée, Claudi accusa la fatigue.
Après une pause à renifler les senteurs de la deuxième fournée, il prit une grosse couronne toute chaude, traversa la place afin de regarnir sa berthe de sardines, café, pâtes chez la Jeanne, en expliquant ses mésaventures ; aujourd’hui il ne prendra pas de riz.
Un petit casse croûte chez les cousins du Prat sera la bienvenue, avant de reprendre les gorges de Renards.
J.P.P.